La liseuse, Robert James Gordon (1877)

Ce site est le journal de mes découvertes au pays des merveilles des arts et des lettres.

Il est dédié à la mémoire de mon père, Pierre-Henri Carteron, régisseur de l'atelier photographique du Centre Georges Pompidou où il a travaillé de 1977 à 2001.

Un cancer de la gorge lui a ôté la voix. Les mots sont restés coincés en travers.

A ma mère qui m'a nourrie du lait de ses rêves.

"Ecrire, c'est rejoindre en silence cet amour qui manque à tout amour" (La part manquante, Christian Bobin).

mardi 23 juillet 2013

Au Japon ceux qui s'aiment ne disent pas je t'aime

Une pensée pour Makoto, ma belle-mère, qui m’a très tôt confrontée au choc de sa culture. J’aimais particulièrement lorsqu’elle cuisinait des crêpes à l’avoine en lisant le conte Momotaro l’enfant des  pêches.*

Une pensée pour Pierre-Henri, mon père, qui m’a un jour envoyé une lettre du Japon dans laquelle il évoquait un bain en montagne. Il avait adoré nager dans l'eau d'une source thermale qui fumait entre les rochers parmi les érables et les corbeaux.

Une pensée pour Rémi, mon demi-frère eurasien.

Dans cet abécédaire qui se lit d’une traite, Elena Janvier décrit avec légèreté les différentes façons de vivre et d’aimer en France et au Japon. Voici une petite sélection de ce qu’on peut y découvrir :

Au Japon, il n’y a jamais de magasins fermés en ville. On peut trouver les produits d'entretien de la maison dans les pharmacies. Il n'y a pas de pigeons mais des corbeaux (une "toilette de chat" se dit "toilette de corbeau"). On ne voit pas de tags (« peut-être ne les verrait-on pas, dans ce grand champ d’idéogrammes ? »). Les bains publics permettent de se réchauffer l’hiver et se détendre après le travail. Les renards de pierre accueillent les visiteurs dans les temples shintô. Du sel est jeté devant la porte pour éloigner les mauvais esprits. On dit que l’âme d’un samouraï se manifeste lorsqu’un papillon tourne autour de vous.

Les japonais sont humbles, discrets et évitent les débordements. Ils vérifient leur effacement dans les miroirs. Ils ne soignent pas les apparences mais ce qui n’apparaît pas ("un kimono sobre, voire insignifiant, doublé d’une soie rare"). Ils peuvent boire pour se désinhiber. Cependant, ils ne tiennent pas l'alcool (80% de la population ont une enzyme en moins dans l'organisme). La pudeur est de mise y compris à la télévision et dans les publicités. Les livres de poche sont recouverts et se tiennent à l’abri des regards. En ce qui concerne l'éducation, les enfants sont calmes et ne font pas de vagues. Le bébé dort entre ses parents sur un matelas étendu sur un tatami (aucun risque de chute). L'enfant puni doit simplement sortir de la maison (« redevenu raisonnable, il pourra revenir dans le cercle familial »).

Quant aux japonaises, elles ne mangent presque rien mais font un petit repas toutes les deux heures. Elles fuient le bronzage et utilisent des produits aux agents blanchissants pour cultiver une beauté pâle, signe de distinction et de vie urbaine. Au lieu de faire pigeonner leur poitrine, elles l’aplatissent sous la large ceinture de leurs kimonos: "l’érotisme du décolleté n’est pas affaire de gorge mais de nuque, révélée ou dévoilée, selon l’inclinaison du cou, l’entrebâillement du kimono, la forme du chignon qui relève la chevelure". Elles contrôlent leur sexualité car la pilule contraceptive n'existe pas, ce qui encourage l’usage du préservatif et limite la transmission des maladies sexuelles.

Enfin, à propos de l’amour – le titre du livre m’a d’emblée intriguée en flânant à la librairie Ithaque ** – Elena Janvier nous révèle avec un brin de poésie qu'il n'est pas seulement un sentiment. Il est partout dans l'espace: « ceux qui s’aiment ne disent pas « je t’aime » mais « il y a de l’amour », comme on dirait qu’il neige ou qu’il fait jour. On ne dit pas « tu me manques » mais « il y a de la tristesse sans ta présence, de l’abandon ». Une sorte d’impersonnel immense qui déborde de soi ».

Ce recueil d'anecdotes m’a beaucoup fait penser à mon père qui aimait le raffinement de la culture japonaise et la beauté des femmes asiatiques auxquelles il a, notamment, consacré une vie de photographies. Lorsque j’ai moi-même réalisé des clichés et voulu inscrire mes pas dans les siens, j’ai pris plaisir à inverser les rôles. Piéger son regard, c’était lui faire ressentir la gêne du modèle qu’il avait l’habitude de capturer.

Makoto et Pierre-Henri avec sa coiffure bâ-kô-dô
(les jeunes japonais utilisent l'expression "coiffure en code-barres" pour désigner "le ramené" qui consiste à prendre une mèche de cheveux au-dessus d'une oreille et la rabattre sur le crâne)

* Selon la version de la légende, datant de l'Epoque d'Edo, Momotarō est venu sur Terre dans une pêche qui descendait une rivière. Il a été découvert par une vieille femme qui y lavait son linge. Celle-ci l'a adopté et élevé avec son mari. Momotarō leur explique qu'il a été envoyé par les cieux pour être leur fils. Cependant, Momotarō était paresseux et trouvait des excuses pour ne pas travailler. Quand il se décida à aller chercher « un peu » de bois, il revint avec un arbre énorme. Ceci attira sur lui l'attention du seigneur, lequel lui demanda de quitter ses parents pour aller combattre des démons sur l'île d'Onigashima. En chemin, Momotarō rencontre un chien, un singe et un faisan avec lesquels il se lie d'amitié. Ils vaincront les démons et leur chef, Ura. Il retournera chez ses parents avec ses amis et le trésor des démons. Lui et sa famille passèrent une vie agréable tous ensemble.

** La librairie Ithaque est située au 73 rue Alésia dans le 14ème arrondissement de Paris.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire