La liseuse, Robert James Gordon (1877)

Ce site est le journal de mes découvertes au pays des merveilles des arts et des lettres.

Il est dédié à la mémoire de mon père, Pierre-Henri Carteron, régisseur de l'atelier photographique du Centre Georges Pompidou où il a travaillé de 1977 à 2001.

Un cancer de la gorge lui a ôté la voix. Les mots sont restés coincés en travers.

A ma mère qui m'a nourrie du lait de ses rêves.

"Ecrire, c'est rejoindre en silence cet amour qui manque à tout amour" (La part manquante, Christian Bobin).

vendredi 19 juillet 2013

Royal Romance, François Weyergans

Daniel Flamm, romancier d’une cinquantaine d’années, marié et père de deux filles, s’interroge sur la longévité des sentiments alors qu’il est absorbé par une boîte de sel achetée en Suisse où est inscrit : « Tenu au sec, le sel est de conservation illimitée ». Il pense immédiatement à son histoire d'amour avec Justine dont il tente de préserver le souvenir par le truchement de l’écriture. 

Justine est une comédienne Québécoise de vingt-cinq ans rencontrée après la première d’une pièce de théâtre. C’est une jolie brune aux yeux bleus et longs cheveux noirs ondulés. Elle est moderne, cultivée (sa mère est libraire), drôle, insolente, narcissique et raffole des opéras de Wagner, des films pornos et du cocktail Royal Romance (un mélange de gin, Cointreau, Grand Marnier, jus de fruit de la passion et sirop de grenadine). Entre Montréal et Paris, Daniel et Justine lisent ensemble Anna Karénine (le roman de Léon Tolstoï), se retrouvent dans les cafés, fréquentent les lieux culturels et font l’amour à l'hôtel : « Justine avait l’art de plonger une chambre dans la pénombre idéale, comme ces éclairagistes que se disputent les plus grands théâtres ». Dès qu’ils sont séparés, ils se téléphonent, s’envoient des lettres ainsi que des messages sur leurs téléphones portables : « Sans les sms, notre relation aurait-elle duré ? Il y a dans l’immédiateté des échanges quelque chose qui fait croire à une vie en commun. Les coups de téléphone sont plus frustrants, à cause de la voix qui fait désirer la présence ».

Daniel et Justine s'aiment – quelle est la vraie nature de cet amour ? – mais chacun a des partenaires sexuels multiples. A partir de ce constat d’infidélité, il est difficile de ressentir de la sympathie pour ce couple et de croire à la sincérité de leurs sentiments au-delà du simple hédonisme. Daniel est angoissé par son âge qui ne lui permet pas de conjuguer leur avenir au futur : « Quels projets avions-nous ensemble ? Nous revoir le lendemain, ça s’arrêtait là ». Pour chasser la dépression, il couche avec toutes les filles qui s’offrent à lui : Diane-Sophie (la meilleure amie de Justine), Caroline (une chanteuse de jazz mariée), Margot (il lui dédicace un livre à la librairie Gallimard de Montréal) et Florence (elle dirige une galerie d’art et de  design près de la place des Vosges). De son côté, Justine enchaîne les petits amis sans importance et envoie à Daniel de nombreuses cassettes audio sur lesquelles elle enregistre ses confidences et la lecture des lettres de Louise Colet* à Flaubert. Elle lui avoue qu’elle voudrait le rendre heureux : « au point que tu n’aurais plus besoin d’écrire, mais tu écrirais quand même ». Je reconnais dans cette phrase le fantasme d’une grande majorité de femmes qui souhaitent le bonheur de leur compagnon tout en se substituant peu à peu à leurs activités et centres d’intérêts. Il s’agit d’une lente dévoration fusionnelle. Comme si elles souhaitaient porter de grands bébés dans leurs ventres et les rendre entièrement dépendants d'elles. Justine partage ce désir urgent d’enfant. Elle veut incorporer en elle l’amour en fuite, le piéger, le cristalliser dans le corps d’un petit être à l’effigie de Daniel. Celui-ci aurait la toute-puissance de leur survivre.

Le temps passe sans que les amants ne prennent la grande décision de vivre ensemble. Daniel attend la venue de Florence avec obsession - elle prend un malin plaisir à décommander au dernier moment - tandis que Justine s'enfonce dans la maladie. Atteinte d'un cancer du sein et en proie à des envies suicidaires, elle demande à être internée dans une clinique psychiatrique. Quelques heures après sa sortie, elle se jette sous le métro (le lecteur peut s'étonner de cette fin calquée sur celle d’Anna Karénine). Daniel s’enferme alors chez lui. Il ne se rase plus, ne s’habille plus et mange à peine. Lorsque sa fille Olga fait irruption dans l'appartement, elle le prend dans ses bras. Il se met à pleurer.

En toute honnêteté, je n'ai pas vraiment aimé ce livre. Le style froid et factuel, le ton distancié de l'auteur, la compilation de scènes dépourvues de véritables émotions, les personnages désincarnés m'ont rappelé l'ennui éprouvé à la lecture de certains ouvrages d’auto-fiction (ceux de Christine Angot par exemple). Au départ, j’ai pourtant eu envie de me glisser dans les draps froissés de la photo en première de couverture. Déçue tant par ce cliché trompeur que par le contenu du roman que j'espérais original et passionné, je me suis retrouvée au bord du lit, triste et frustrée, comme si le désir avait disparu.

* Louise Colet, née Révoil de Servanes à Aix-en-Provence le 15 août 1810 et morte à Paris le 8 mars 1876, est une poétesse française. Dans son salon littéraire, elle a fréquenté nombre de ses contemporains du monde littéraire parisien, tels que Victor Hugo. Elle devint la maîtresse de Gustave Flaubert, d'Alfred de Vigny et d'Alfred de Musset.

Portrait de Louise Colet avec sa fille Henriette en 1842, Adèle Grasset  
(Musée Granet, Aix-en-Provence)

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