La liseuse, Robert James Gordon (1877)

Ce site est le journal de mes découvertes au pays des merveilles des arts et des lettres.

Il est dédié à la mémoire de mon père, Pierre-Henri Carteron, régisseur de l'atelier photographique du Centre Georges Pompidou où il a travaillé de 1977 à 2001.

Un cancer de la gorge lui a ôté la voix. Les mots sont restés coincés en travers.

A ma mère qui m'a nourrie du lait de ses rêves.

"Ecrire, c'est rejoindre en silence cet amour qui manque à tout amour" (La part manquante, Christian Bobin).

mardi 22 octobre 2013

Hommage à Benoit Carteron (Saint-Symphorien-sur-Coise)

"Un homme politique ne doit pas devancer les circonstances : 
c'est un tort que d'avoir raison trop tôt"
Alphonse de Lamartine

Benoit Carteron (1908-1996)

Mon grand-père, Benoit Carteron, est une figure importante de l'histoire régionale mais il n'a jamais vraiment reçu d'hommage public jusqu'à ce que Guillaume Dupeyron, brillant étudiant de 24 ans à Sciences Po Lyon, lui consacre son mémoire de master II en histoire suivi d'un colloque*(1) qui a réuni environ 250 personnes au château de Pluvy le samedi 12 octobre 2013. Monsieur Dupeyron s'est plongé dans les archives familiales et a sorti un personnage de l'oubli et de l'anonymat médiatique, hormis une citation dans le Who's Who de 1984-1985!*(2). Ce fut l'occasion de retrouver toute ma famille lors d'une "cousinade" très émouvante.

Première affiche du colloque


Le château de Pluvy est situé au milieu d'une campagne vallonnée au coeur des Monts du Lyonnais, région rurale de cultures fruitières et fourragères (ensemble de plantes destinées à l'alimentation du bétail). Ce bâtiment, autrefois une gentilhommière, fut fortifié au XVIe siècle avec son lourd appareillage en pierre de taille, son donjon à mâchicoulis et sa massive cour carrée et crénelée. En 1760, le noble Julien Court de Pluvy marie sa fille à Claude Alexis de Noblet. Les propriétaires du XIXe siècle vont ensuite construire à sa place un petit château, rénové de nombreuses fois par Violet le Duc. En 1974, le comte Guy de Noblet vend le château de Noblet et ses dépendances à la commune de Saint-symphorien-sur-Coise. Aujourd'hui l'aile droite abrite une Maison familiale des Métiers, tandisque l'aile gauche héberge le Syndicat intercommunautaire des monts du lyonnais et le Comité de Coordination des monts du lyonnais qui gère les locations des salles du château pour les mariages, fêtes de famille et séminaires d'entreprise.

Biographie 

Au début du 20ème siècle, Laurent Carteron, s'installe rue Henri-Petit à Saint-Symphorien-sur-Coise comme "marchand de fer" (on dirait aujourd'hui un quincaillier). Il épouse Marie Perrachon originaire de Chateauvieux près d'Yzeron et ensemble, ils élèvent 6 enfants (3 garçons et 3 filles). Benoit Carteron, le troisième garçon et le benjamin de la famille, naît le 20 février 1908. Il commence ses études secondaires de lettres classiques au Petit Séminaire de la cathédrale Saint-Jean à Lyon dont il garde le souvenir d'un "cercle d'amitié autour d'une flamme très douce". C'est un élève très doué et "laborieux".

Carte postale de Saint-Symphorien-sur-Coise en 1910

En 1930, il rejoint le reseau des démocrates chrétiens*(3), fréquente le cercle d'études populaires Pelaud*(4) pour parler philosophie, lettres et politique et rencontre Victor Carlhian*(5), fondateur du Sillon*(6)Il devient militant du Parti Démocrate Populaire mais refuse d'être encarté. Puis, il se marie à Fanny Siedel en 1934 dont il a 5 enfants : Guy, Michel, Marie-Hélène, Pierre-Henri, Claire. Il entreprend une carrière dans l'agro-alimentaire en tant que charcutier-salaisonnier de 1934 à 1952 (Carlhian est actionnaire de son entreprise salaisonnière). Pendant la guerre de 1939-1945, il est envoyé en Auvergne et à Gaillac. De retour dans son village en 1940, il intègre la Résistance et cache un homme juif (Monsieur Spector). En 1944, il enterre l'un des soldats alliés, mort à bord d'un avion écrasé, dans le caveau familial. Inspiré de la revue Esprit et du personnalisme de Mounier*(7), il écrit un manifeste moral et politique en faveur d'une révolution sociale et économique dans la paix. Il dénonce le dieu argent qui corrompt, prône une décentralisation ainsi que la suppression du capitalisme et des injustices.

Il s'oriente vers une carrière publique qui en fait durant 37 ans le Conseiller Général du Canton de Saint-Symphorien (1945-1982). Il est même pendant 22 ans président de l'Assemblée Départementale (1975-1979), tout en assurant la direction de l'hôpital du village.

Sa carrière politique est assez bien résumée dans l'article de Gérald Prevost, paru le 15 décembre 1996 dans le journal Le Progrès (seul hommage publié par la presse) : "Cet ancien maquisard entre en politique à la Libération, en étant élu conseiller général le 23 septembre 1945. Benoît Carteron sera réélu sans discontinuité jusqu'en mars 1982, date à laquelle il choisit de prendre sa retraite politique. Ses nombreux "passages" devant les électeurs ne seront le plus souvent qu'une formalité, battant même un record aux cantonales de 1958 en obtenant ... 96,42% des suffrages! Membre de la commission départementale dès 1945, il en devient le président de 1951 à 1956. C'est le 30 octobre 1957 qu'il est élu à la présidence du Conseil Général du Rhône, succédant à Laurent Bonnevay. Un fauteuil qu'il conserve, sans interruption, jusqu'en mars 1979, et qu'il cède à son successeur Jean Palluy".

L'hôpital de Saint-Symphorien-sur-Coise

Un homme d'action publique 

Benoit Carteron est centriste. C'est un homme d'action publique et non de parti. En faveur de la modération, il refusera catégoriquement de rejoindre la droite ou la gauche politique. Tout au long de l'exercice de ses mandats, Benoit Carteron se préoccupe des problèmes sociaux et de l'aménagement du territoire. Il est solidaire des agriculteurs (notamment au cours de la lutte contre la tuberculose bovine en 1960), des familles, des personnes âgées et des religieux (il est proche des petites soeurs des pauvres). Toute détresse qui lui est signalée, trouve une écoute, une réponse, un secours. Il crée notamment de nombreux logements sociaux en collaboration avec l'Office départemental HLM, le Syndicat des Eaux pour l'alimentation des campagnes en eau potable, la Cité de l'enfance à Parilly, le foyer Notre-Dame des sans-abris, la Société d'Equipement du Rhône et de Lyon (SERL), la Part-Dieu et sa gare, l'école d'infirmiers et d'infirmières psychiatriques de l'hôpital du Vinatier (où mon autre grand-père a été interné, voir l'article intitulé "Joseph, Séraphine et moi" publié le 12 septembre 2013 sur le blog*(8), le centre de soins psychiatriques de Saint-Cyr-au-Mont-d'Or, la base de loisirs de Miribel-Jonage, l'autoroute Lyon-Chambéry, les tunnels de Fréjus et de Fourvière et l'aéroport Satolas.

Livre dédicacé à noël 1993 : "A mon adorable petite fille, Marie-Aimée, qui trouvera,
retracées dans ces pages, les réalisations auxquelles j'ai consacré ma vie
"

Un homme discret

Benoit Carteron rentre en politique à 37 ans et reste conseiller général pendant 37 ans
Il est réélu sans discontinuité de 1945 à 1982

D'après les témoignages de sa famille, de ses amis et de ses nombreux collaborateurs, Benoit Carteron est d'une grande simplicité, tantôt intimidant car peu expansif, tantôt chaleureux et bonhomme. C'est un personnage inspiré, issu de la tradition catholique, discret, pétri d'humour avec un solide amour du terroir et une grande culture éloquente. Son approche singulière de la politique fait de lui un adversaire atypique. Il n'aime ni les heurts ni les batailles politiques, récuse l'intégrisme et favorise une laïcité d'ouverture et de respect dans l'union des esprits. Son sens du dévouement et du partage placent l'individu au centre de ses préoccupations. Imperméable aux tentations du monde politique, il ne s'enrichit pas et refuse même la députation en 1974 afin de rester en contact direct avec ses électeurs. 

Lors du colloque, les louanges à la mémoire de Benoit Carteron ont agi comme autant de mots doux appliqués sur la plaie de l'oubli. Bien qu'il n'ait jamais été en quête d'honneurs - en effet, de la période tragique de l'occupation, il avait gardé un sens élevé du service public - il aurait aimé entendre toutes ces paroles bienveillantes. Devant ses amis fusillés, il proclame : "que ces martyrs que nous avions beaucoup aimés n'étaient pas morts pour que nous soyons honorés, mais pour que nous servions"*(9). 

Je me souviens du bureau qu'il avait installé, suite à sa retraite politique, au rez-de-chaussée de son immeuble en vue de dispenser des conseils à d'éventuels compagnons en visite. Rares sont ceux qui ont fait le déplacement. Le manque de reconnaissance a du lui être parfois bien cruel.

L'immeuble de Benoit Carteron au 3 avenue Etienne Billard
(le bureau se situait au rez-de-chaussée à droite)

Un homme de passions

Ma tante, Claire Grange, a fait un travail extraordinaire pour sélectionner les meilleurs clichés de son père et présenter quelques objets fétiches. Ceux-ci seront exposés à la médiathèque de Saint-Symphorien jusqu'à la fin du mois de septembre.

Avec le Général de Gaulle à qui il voue une admiration sans faille
 et dont il possède plusieurs éditions des Mémoires

Le Docteur Cornut, ami sculpteur amateur, 
réalise son buste en pierre de Pouillenay 

Avec la troupe de théâtre de Saint-Symphorien dans Mon Oncle et mon Curé

Avec son fils Pierre-Henri (mon père) en tandem

A bicyclette

Les joies du cycliste me sont inconnues car je n'ai jamais su faire de vélo. Cela étonne toujours les gens : comment ne pas maîtriser une chose aussi simple? En revanche, si mes pieds restent à terre, mon cerveau pédale en continu et s'envole aisément vers des contrées imaginaires. Mon grand-père, lui, adore la bicyclette. En plus d'être sportif, il est un esprit fin dans un corps saint et rédige de beaux discours. En témoigne cet éloge du cyclotourisme composé en 1973 : "J'ai viré au cyclotourisme à partir du moment où les contraintes professionnelles m'ont éloigné des sports d'équipe que je pratiquais avec passion. La trentaine bien passée, j'ai donc appris à être seul, confronté à l'effort. Peu à peu, la route est devenue la confidente merveilleuse de tous mes combats. Les joies de la randonnée, je n'ai pas à en parler à mes amis cyclistes. Ils les savourent comme moi. Elles sont presque incommunicables. Elles font partie du domaine secret de la plénitude intérieure. Personnellement, j'y ai puisé bien souvent fermeté et couragepour affronter les tâches difficiles. A tel de mes interlocuteurs que ma sérénité pouvait, à certains jours, surprendre, je disais que j'en avais acquitté l'octroi, la veille ou l'avant-veille, sur quelque route en lacets, inaccessible aux impatients. Chaque année, le Massif des Maures devient un peu mon domaine pendant le mois de juin. J'y passe le meilleur de mon temps, sur les pentes qui dominent la mer, et au fil des routes en corniches qui s'ouvrent sur des arrière-pays d'une impressionnante splendeur. Cyclotouristes mes frères, préservons nos joies. Elles font partie d'un trésor que nul ne peut nous ravir. Et cela compte dans la vie d'un homme, même et surtout s'il en est à l'automne".

Mademoiselle Justine, un point d'orgue

Marie Perrachon est une femme de grande piété : c'est sans doute la ferveur de sa foi qui guide ses deux premiers fils vers l'état ecclésiastique: Jean-Baptiste et Claude deviennent tous les deux prêtres Maristes. Claude est même curé de paroisse aux USA.

Justine naît en 1903 (5 ans avant son frère Benoit). Elle est professeur de solfège dans les écoles et professeur de piano à domicile. Sa musique accompagne les pièces de théâtre de son frère ainsi que les image de cinéma (1935-1936). Totalement dévouée à la paroisse de Saint-Symphorien, elle anime les fêtes religieuses et joue de l'orgue à l'église du village pendant plus de 50 ans. Dotée d'une très forte personnalité, un peu rigide, elle suit son chemin en toute discrétion et se consacre à la foi chrétienne.

J'ai un souvenir assez joyeux de "tatan Justine" qui vivait pourtant dans un dénuement total de distractions. Elle refusait le confort moderne et n'avait pas de télé ni de radio ou de téléphone. Elle n'avait pas non plus de toilettes mais un fauteuil avec un pot de chambre intégré. Aux murs quelques images pieuses. L'accès à son appartement était effrayant. Il fallait monter de grosses marches de pierre, pousser une lourde porte en bois et traverser un couloir obscur interminable. Une fois les obstacles passés, elle me tendait une des friandises cachées dans son placard (elle avait le "bec sucré"), acceptait volontiers de jouer aux cartes et posait des questions très pertinentes sur mon quotidien et mes activités. Parfois, elle me donnait un petit billet pour aller choisir des illustrés chez Monsieur Besacier, le libraire.

Témoignages de la famille

Ses enfants entourent Guillaume Dupeyron (au centre) :
Claire Grange, Marie-Hélène Granjon, Guy et Michel Carteron
Ils se tiennent devant l'imposante cheminée de la salle des gardes du château de Pluvy

Guy Carteron dit de son père que c'était un homme extraordinaire et plein de bonté car altruiste et généreux. Il avait des attentions formidables. Par exemple, avant de rentrer à la maison, il allait à l'hôpital voir les malades qu'il connaissait bien, leur disait un mot et les réconfortaient : "En particulier une vieille dame, Maria, qui avait été dame de service chez ses parents. C'était une femme de la campagne, modeste, avec un très grand coeur et à laquelle il s'était beaucoup attaché. Elle a fini par mourir à l'hôpital de Saint-Symphorien. Tous les soirs, elle attendait qu'il monte de Lyon pour venir la voir. Il lui donnait la main, elle touchait sa bague et reconnaissait la croix de lorraine (souvenir de la résistance). Elle était aveugle et sourde et s'endormait". Guy Carteron rappelle que son père était d'une exemplarité totale : il a refusé le Sénat et la chambre des députés et était en avance sur son temps. Il n'a cumulé aucun mandat et encore moins les émoluments.

Michel Carteron est ordonné prêtre en 1962 puis prêtre des missions africaines en 1963. Il vit 50 ans en Côte d'Ivoire avant de revenir dans son village natal. Il ajoute qu'un père est un modèle. Le sien était simple, modeste et ne faisait pas d'esbroufe. Sa discretion était teintée de malice. Il était peu fêtard et plutôt réservé et méditatif. Il aimait les balades en vélo pour avoir le temps de réfléchir et avait une bonne connaissance des paysages. Il était doté d'une qualité d'écoute : le mercredi, tout le monde racontait ses affaires au "confessionnal". Il avait un franc parler, un caractère bien trempé et une indépendance d'esprit. En France, on dit "tel père tel fils", en baoulé on dit "les brebis n'engendrent pas les chèvres".

L'espoir d'un lieu public

Excepté le centre aéré Benoit Carteron, situé au sein du Grand Parc de Miribel Jonage à Vaux-en-Velin, aucun lieu public n'a été baptisé de son nom. Il pourrait peut-être figurer sur le fronton du nouvel établissement qui va regrouper toutes les archives départementales à Lyon ou bien encore au coin d'une rue ou d'une salle polyvalente de Saint-Symphorien afin de célébrer le dévouement inconditionnel qu'il a toujours porté à son canton?

En clôture du colloque, Roger Peillon, l'actuel Maire de Saint-Symphorien, annonce à l'auditoire qu'un projet de résidence Benoit Carteron est susceptible de voir le jour prochainement. Il s'agirait de 14 logements sociaux destinés aux personnes âgées.

Le Centre Aéré Benoit Carteron au Parc de Miribel Jonage

La lecture en héritage

Benoit Carteron rédige des textes pour la presse et les acteurs - il met en scène une foule de pièces de théâtre et d'opérettes - à l'aide d'une machine Remington qui lui coûte trois mois de salaire. Il possède une bibliothèque de 7000 ouvrages qui siège, parmi de confortables chauffeuses oranges, dans une grande pièce dédiée à la lecture. C'est le refuge idéal pour se plonger dans un ouvrage. Je me souviens de son fauteuil de relaxation, surplombé d'une lampe, ainsi que du plaid et du petit guéridon sur lequel reposaient les journaux et le dictionnaire du cruciverbiste. Je me souviens également de la voix de ma grand-mère qui lui proposait une tisane. Il m'a transmis son goût des livres tout comme Joseph, mon autre grand-père, m'a inconsciemment légué son regard ébloui par la peinture. En montant aux branches de l'arbre des passions familiales, je prends conscience que mon héritage ne repose pas sous terre, avec ceux que j'aime, mais qu'il est bel et bien vivant dans le ciel de mon coeur. Et lorsque le temps devient menaçant, je n'ai pas meilleur parapluie que l'art.

Une visite sentimentale de Saint-Symphorien (réseau "Les plus beaux détours de France"*(10)




La fontaine Gouvard est située à l'entrée du jardin public. Elle fut pendant des siècles la seule source d'eau potable et publique du village. Elle se trouvait hors des murs de la cité et les habitants devaient traverser les fossés sur les ponts-levis des Portes Gouvard et de Chadut pour venir s'y approvisionner. Ces attentes devant la source étaient la source de longs bavardages."Pelaud, tu seras tôt ou tard si tu bois l'eau de Gouvard" (dicton local).

Carte postale ancienne de la fontaine Gouvard


L'église collégiale est classée Monument Historique. Dédiée à Saint-Symphorien, jeune martyr à Autun, cette église-forteresse a été construite aiu XVe siècle grâce au don du cardinal Girard, enfant du pays. L'église est bâtie à l'emplacement d'un ancien château fort. Elle vient remplacer une église édifiée en ce lieu au XIIIe siècle, devenue trop petite. 

L'église, photographiée à l'aide de mon portable, apparait telle 
une couronne posée sur une galette des rois


Dans cette maison est née en 1737 Marie Gavault, grand-mère et marraine d'Alphonse de Lamartine. Elle fut l'épouse de Jean-François des Roys, qu'elle suivit à Parisoù elle fut nommée préceptrice du jeune Louis-Philippe. Celui-ci devient en 1830 le dernier "roi des Français"

Le passage Marie Gavault

La Porte de Riverie, vestige des remparts, est la seule rescapée des trois accès à la ville

Une maison typique

Une visite au cimetière

La Neylière, maison mariste, où nous nous sommes tous retouvés pour la "cousinade" 

********** Notes **********

*(1) : Le programme du colloque :
http://www.duerne.mairies69.net/IMG/pdf/benoitcarteron.pdf

*(2) : C'est avec stupeur que, lors d'une mission d'intérim, j'ai découvert le nom de mon grand-père, Benoît CARTERON, dans le Who's Who de 1984-1985. L'ouvrage traînait derrière le standard d'une entreprise d'informatique! Il s'agit d'un dictionnaire biographique qui liste les personnes qui comptent en France, en affirmant se fonder sur quatre critères : "la notoriété, l'honorabilité, le mérite et le talent qui contribuent à l'activité et au rayonnement de la France".

L'article le présente ainsi : "Administrateur d'hôpital. Né le 20 février 1908 à Saint-Symphorien-sur-Coise (Rhône). Fils de Laurent Carteron, Négociant, et de Mme, née Maria Perrachon. Marié le 15 juin 1934 à Mlle Fanny Siedel (5 enfants : Guy, Michel, Marie-Hélène, Pierre-Henri, Claire). Etudes : Institution Leidrade à Lyon. Diplôme : Bachelier. Carrière : Administrateur d'hôpital (depuis 1952). Président de la Société d'équipement de la région lyonnaise (depuis 1965). Président (1957-1979) puis Président d'honneur du Conseil général du Rhône, Président du Syndicat des Eaux des monts du Lyonnais et de la basse vallée de Sior. Membre associé de l'Académie des sciences, belles-lettres et arts de Lyon (depuis 1960). Adresse : 3 avenue Etienne Billard. 69590 Saint-Symphorien-sur-Coise.

*(3) : La démocratie chrétienne est un courant de pensée politique et religieuse qui s'exprime en Europe à partir de la fin du XIXe siècle et qui cherche à promouvoir, au sein d'une société démocratique et pluraliste, une politique conforme au message qu'expriment l'Evangile, la doctrine sociale de l'Eglise et les travaux des penseurs chrétiens.

*(4) : Les habitants de Saint-Symphorien-sur-Coise sont appelés les Pelauds, en souvenir de l'importante activité de tannerie qui existait sur la commune.

*(5) : Biographie de Victor Carlhian :
http://museedudiocesedelyon.com/MUSEEduDIOCESEdeLYONcarlhian.htm

*(6) : Les frères de Benoit Carteron, Jean Baptiste et Claude, étaient prêtres Maristes et membres du Sillon : un mouvement politique et idéologique qui vise à rapprocher le catholicisme de la République en offrant aux ouvriers une alternative aux mouvements de la gauche anti-cléricale.

*(7) : Le personnalimse est un courant d'idées fondé par Emmanuel Mounier autour de la revue Esprit, recherchant une troisième voie humaniste entre le capitalisme libéral et le marxisme. Le personnalisme "post-mounier" est une philosophie éthique dont la valeur fondamentale est le respect de la personne. Il a eu une influence importante sur les milieux intellectuels et politiques français des années 1930 aux années 1950.

*(8: Pour lire l'hommage à mon grand-père maternel, Joseph :
http://marieaimeecarteron.blogspot.fr/2013/09/joseph-seraphine-et-moi.html

*(9: Réponse de M. le Président Carteron, Procès-verbaux des délibérations, 28 mars 1979.

*(10) : Si vous souhaitez visiter ce très joli village médiéval :
http://www.plusbeauxdetours.com/destinations-france/detail_saint-symphorien-sur-coise-rhone-alpes-rhone_400233.html

dimanche 6 octobre 2013

Les 10 ans du prix marseillais du polar

Photo parue le 29 septembre 2013 dans le journal La Provence

Le samedi 28 septembre 2013, l'association Cours Julien*1 à Marseille a présenté les oeuvres de dix écrivains au cours d'un grand procès public en plein air. Gilles Del Pappas*2 (célèbre auteur de polars, directeur artistique du projet et président du tribunal éphémère) a accueilli les curieux pour "Le procès du siècle" : dix avocats du barreau de Marseille ont plaidé pour défendre les dix auteurs participants. Marie Neuser a été reconnue coupable d'avoir produit le meilleur polar avec Un petit jouet mécanique. Elle a fait remarquer que "parmi ces êtres patibulaires, sentant la testostérone, elle repésentait une petite goutte de sensibilité dans un monde de brutes". Maitre Stéphanie Spiteri a remporté le prix de l'Eloquence pour avoir défendu Serge Scotto avec Au temps pour moi.


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Un léger bruit dans le moteur
Jean-Luc Luciani

"Je n'écris pas pour la jeunesse mais pour les adultes de demain"
Jean-Luc Luciani

Parmi les dix livres sélectionnés*3 pour le 10ème prix marseillais du polar*4, j’ai choisi de monter à bord d’un court roman noir, découpé en quinze chapitres, et de traverser en trombe, le temps d’une nuit blanche pleine de bruit et de fureur, les confessions monstrueuses d’un gamin de dix ans dont la voix distanciée est brisée par Un léger bruit dans le moteur. Je vous conseille vivement d’emprunter à votre tour la route tracée par Jean-Luc Luciani*5 (auteur spécialisé dans la littérature "jeunesse") si vous souhaitez rouler à contre-courant des codes du polar. En effet, vous ne trouverez ici aucune des recettes ni ingrédients récurrents qui permettent de faire monter la sauce hémoglobine. Oubliez l’inspecteur à gueule abîmée, l’enquête aux multiples rebondissements, la faune des prostituées, les scènes de sexe et les propos salaces, les dialogues maffieux, les crimes aux détails sanglants, …

Le héros de ce roman, publié chez l’Ecailler*6, est un enfant peu bavard mais les premières phrases qu’il prononce sont terrifiantes et plongent d’emblée le lecteur au cœur d’une intrigue complexe. L’auteur a réalisé un vrai travail d’épure afin que l’écriture colle exactement au langage d’un enfant qui conjugue ses verbes au présent et utilise des mots simples dont il connait la signification : "Je suis un enfant qui tue les gens. J’ai tué ma mère à la naissance, ensuite mon père a pris une nouvelle femme, le temps a passé et maintenant nous habitons un endroit où personne ne s’arrête, sauf si l’on tombe en panne. Autant dire que nous vivons entre nous. Il y a mon père que je n’aime pas et ma nouvelle mère que je déteste. Il y avait aussi mon demi-frère, mais celui-là je l’ai déjà tué. Un accident de balançoire. C’est ce qu’ils pensent tous …"

Ce petit bonhomme, qu’aucun lecteur ne pourra totalement rejeter, observe des rituels qui sont comme autant de repères pour se rassurer quant à la possibilité d'un avenir au-delà des murs de l’enceinte du village. Tel un prisonnier, il coche un jour de plus sur le vieux calendrier punaisé au mur de sa chambre, apprend des mots difficiles dans son "livre du monde du dehors" et observe les acteurs du petit théâtre des cruautés : pédophiles, désaxés, assoifés d'argent, faux chrétiens qui vont à la messe en masse (le curé est tout juste capable de mettre une cassette remplie de sermons enregistrés). Il n’est pas dupe du jeu pervers des adultes et joue même terriblement bien la comédie. Après chaque meurtre, il jette de l’eau dans ses yeux, sanglote, feint d’être le témoin innocent et paniqué d'accidents dont il est l'auteur. Coupable d’avoir "tué" sa mère, morte en couches, et de lui survivre, il se réfère à la période bénie où ses parents l’aimaient et où les membres du village étaient heureux : "C’était le bon vieux temps de jadis où les gens du village s’aimaient encore et se parlaient le soir au coin du feu. Du bon vieux temps de jadis où les pensions et les cassettes n’avaient pas encore changé la vie des gens de mon village à moi".

Le garçon procède à un jeu de massacre et élimine une à une ses victimes afin d’être enfin "tranquille". Il assassine notamment son frère, fracasse le crâne de son institutrice et noie Monsieur Grandriale (le père de son amie Laurie) dans la vase des marécages alentours car "il visitait sa fille la nuit" (Laurie vient s'installer chez le héros). Les villageois décident ensemble de passer sous silence cette disparition, dont personne n'imagine que le garçon soit à l'origine, car ils souhaitent se partager l'argent de la pension : "Si tous les gens se taisent pour la mort de Gandriale, sa pension continuera d’arriver et elle pourra être partagée entre tout le monde". L'auteur choisit de ne donner aucune explication quant à cette pension versée par le gouvernement aux paysans "à cause des choses qu’ils ont faites avant et puis de ce qui est arrivé après". Il prive également le lecteur de tout repère temporel et le capture ainsi dans le présent de son récit exactement comme le rêveur se retrouve piégé par la réalité de son cauchemar. 

Tout à coup, dans le village où "personne ne s’arrête à moins de tomber en panne", deux coups de klaxon déchirent la nuit et un automobiliste étranger fait irruption : "La vitre baissée et me regarde sans vraiment comprendre que je suis plein du sang des autres (…) Y a-t-il un garagiste dans ce foutu bled ? J’ai comme un léger bruit dans le moteur et je n’aimerais pas tomber en panne sous ce déluge". C’est à ce moment précis que la pluie, tel un élément vivant du décor, se déchaîne. Les gouttes sonnent sur l'asphalte comme un roulement de tambour qui annonce à la fois la fermeture du rideau final sur la scène des crimes et le début d'une nouvelle vie pour Laurie et le héros. Seuls rescapés parmi les damnés, ils traversent ensemble le village, passent les champs et franchissent "la colline haute qui fait comme une barrière entre notre village et la vraie vie qui est ailleurs".

Afin de préserver le suspense contenu dans ce roman d'une centaine de pages, aussi corsé qu'un café serré bu d'un trait sur le zinc d'un comptoir, je vous invite non seulement à oublier les détails contenus dans cet article mais encore à commander ce petit noir chez votre libraire. Vous pourrez alors éprouver, en même temps que le héros, le sentiment jouissif de transgresser la loi des adultes qui ne sont pas à la hauteur de prendre un enfant par la main. A ceux qui condamneraient le gamin sans savoir le pourquoi de ses agissements, il objecterait ceci : "Parce que je les détestais, parce que je voulais être libre, parce que la vie d’ailleurs m’appelait trop fort, parce qu’à force de tuer le temps on tue vraiment".

Adaptation BD, lauréat Prix SNCF du Polar Bande Dessinée 2013

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Notes

*1 : Association du Cours Julien à Marseille :

*2 : De père grec et de mère italienne, Gilles Del Pappas est né le 14 décembre 1949 au Racati, un quartier populaire de Marseille. Photographe, peintre puis romancier, Le Baiser du congre est son premier roman. Il a reçu le Grand Prix littéraire de Provence pour l'ensemble de son oeuvre. Il est en quelques années devenu un des auteurs les plus emblématiques du polar méditerranéen.

Gilles Del Pappas
http://www.delpappas.fr

*3 : Les dix livres sélectionnés :
- René Frégni : Sous la ville rouge
- Jean Contrucci : La somnambule de la villa aux loups
- Maurice Gouiran : Mais délivrez-nous du mal
- Eric Maneval : Rennes-le-Château - Tome sang
- Jean-Luc Luciani : Un léger bruit dans le moteur
- François Thomazeau : Consulting
- Serge Scotto : Au temps pour moi
- Jean-Paul Delfino : Brasil
- Jérôme Harlay : Smog
- Marie Neuser : Un petit jouet mécanique.

*: Notons au passage que cette association de quartier, entièrement composée de bénévoles très actifs, ne bénéficie d’aucune subvention ni coup de pouce de la part de Marseille Provence 2013 !

*5 : Jean-Luc Luciani est né le 19 avril 1960 à Marseille avec de fortes racines corses. Il se consacre à la pédagogie comme instituteur avant de se plonger dans la littérature pour enfants. Il publie une quarantaine de livres qui enthousiasment ses lecteurs, dont quelques uns pour adultes.

Jean-Luc Luciani
http://aujourlejour.free.fr/

*6 : L'Ecailler est une maison d'édition marseillaise fondée en 2000 sous le nom de l'Ecailler du Sud. Elle a publié de nombreux auteurs du Sud de la France avant de se diversifier, avec la création de l'Ecailler du Nord et la mise en place de nouvelles collections : Overlitterature, L'AtiNoir ...

Interview de François Thomazeau, le fondateur de l'Ecailler :

mercredi 2 octobre 2013

Le diable au corps, Raymond Radiguet


Beau livre publié en 1958 avec une lithographie de Valentine Hugo en frontispice
(Editions André Sauret)


Le roman de Raymond Radiguet se tient bien droit parmi les ouvrages de seconde main alignés en rang serré dans la malle d’un vide-grenier sur le Cours Julien à Marseille. Il n’a pas honte de sa couverture surannée ni de ses feuilles jaunies. Alors que je m’approche de lui pour évaluer la qualité de son style, il m’invite à franchir, à travers ses pages, la porte de la chambre des amants. Il me fait la promesse de partager le secret intime de leurs corps qui se désirent et se consument sous le feu de la passion.

Dans Le Diable au corps, un jeune-homme de quinze ans (sans nom), étudiant au lycée Henri IV à Paris, fréquente en cachette Marthe Lacombe, une peintre âgée de dix-huit ans. Celle-ci est fiancée à Jacques, un soldat parti combattre au front pendant la seconde guerre mondiale. Les amants sont heureux jusqu’à ce que le héros maudisse son âge : « Il m’empêchait de m’appartenir », ait le sentiment de n’être qu’un passe-temps ou « un caprice dont elle pourrait se détacher du jour au lendemain », connaisse la jalousie et le remords : « J’en voulais à Marthe, parce que je comprenais, à son visage reconnaissant, tout ce que valent les liens de la chair. Je maudissais l’homme qui avait avant moi éveillé son corps (…) Je ne hais pas Jacques. Je hais la certitude de tout devoir à cet homme que nous trompons. Mais j’aime trop Marthe pour trouver notre bonheur criminel ".

Les familles des deux protagonistes gardent le secret de leur liaison afin d’éviter tout scandale car Marthe, en plus d’être une femme adultère, pourrait être accusée de détournement de mineur. Puisqu’ils ne doivent pas s’exposer aux regards des voisins, ils cherchent un hôtel où se réfugier : « J’aime mieux, murmura-t-elle, être malheureuse avec toi qu’heureuse avec lui. Voilà de ces mots d’amour qui ne veulent rien dire, et que l’on a honte de rapporter, mais qui prononcés par la bouche aimée, vous enivrent (…). Ces mots contenaient-ils un reproche inconscient ? Sans doute, Marthe, parce qu’elle m’aimait ; connut-elle avec moi des heures dont, avec Jacques, elle n’avait pas idée, mais ces moments heureux me donnaient-ils le droit d’être cruel ? ». Le héros, qui ne s’imagine pas vivre sans la femme qu’il aime, est paniqué à l’idée d’une future séparation : « Je n’avais pas le pied marin pour la souffrance. Du reste, je ne crois pouvoir comparer mieux qu’au mal de mer ces vertiges du cœur et de l’âme. La vie sans Marthe, c’était une longue traversée ».

A partir de la quête d'un lieu sûr où le couple pourrait s'aimer, le lecteur ne cesse d’être emporté dans un tourbillon de drames. Marthe, enceinte de son amant, accouche d’un petit garçon à qui elle donne le prénom - toujours inconnu - du héros. Elle contracte ensuite une mystérieuse maladie. Jacques, alerté de la mauvaise santé de sa femme, revient du front peu de temps avant qu'elle ne meure. Après avoir fait une syncope à l'annonce de la terrible nouvelle, le héros se console en voyant Jacques, ce veuf si digne, adopter tout naturellement l'enfant dont il ne peut douter d’être le père naturel : "Ma femme est morte en l'appelant. Pauvre Petit! N'est-ce pas ma seule raison de vivre". Les derniers mots reviennent au héros qui s'est toujours senti coupable d'arracher Marthe à un destin paisible : "Ne venais-je pas d'apprendre que Marthe était morte en m'appelant, et que mon fils aurait une existence raisonnable ?". 

Ce roman, paru en 1923, est très émouvant et admirablement bien écrit. Le lecteur attentif pourra d'ailleurs noter de nombreuses occurrences du subjonctif imparfait, temps peu usité, de surcroit chez un auteur aussi jeune que Raymond Radiguet qui n’a pas dix-huit ans (il est emporté à vingt ans d'une fièvre typhoïde). Son grand ami, Jean Cocteau, affirme qu'il partage avec Arthur Rimbaud : « le terrible privilège d’être un phénomène des lettres françaises ». En effet, la publication du Diable au corps provoque un grand scandale car la guerre apparaît comme la condition même du bonheur des amants et porte atteinte au respect sacré dû au soldat.

Pour lire le texte intégral :
http://catalog.lambertvillelibrary.org/texts/French/radiguet/diable/french/diable.htm


Raymond Radiguet peint par Amedeo Modigliani (1915)



Raymond Radiguet dessiné par Pablo Picasso (17 décembre 1920)



Raymond Radiguet dessiné par Valentine Hugo (1921)
Valentine reçoit ses amis dans son appartement 
de la rue de Montpensier : Marcel Proust, André Gide, Paul Morand, 
Pablo Picasso, Jean Cocteau, Erik Satie, Maurice Ravel, Serge Diaghilev



Valentine et Jean Hugo (arrière petit-fils de Victor Hugo), tous deux peintres,
entourent leur ami, Raymond Radiguet, dans un décor de paquebot au Magic-City (1921)



Durant l'été 1921, Jean Cocteau enferme Raymond Radiguet dans sa chambre de l'hôtel 
Chanteclec à Piquey, sur le bassin d'Arcachon, pour obtenir de lui qu'il termine 
Le Diable au corps : "Je voulais le détourner de sa vocation de mort" 



Raymond Radiguet endormi dessiné par Jean Cocteau (1922)



Le Diable au corps illustré par Paul-Emile Bécat en 1957
(éditions Georges Guillot, 39 rue de Paradis à Paris)

Paul-Emile Bécat (1885-1960) est peintre, graveur et dessinateur. 
Il est titulaire d'un premier second grand prix de Rome en 1920. 
Il est mieux connu aujourd'hui comme illustrateur de livres érotiques.



Préface de Jean Cocteau



Pendant que Marthe reste un mois à Granville avec Jacques, le héros 
succombe au charme de Svéa, une amie de celle-ci : "Elle tira de son sac
une photographie de sa soeur jumelle, envoyée 
de Suède la veille : à cheval, toute nue, avec sur la tête
un chapeau haut de forme de leur grand-père"