La liseuse, Robert James Gordon (1877)

Ce site est le journal de mes découvertes au pays des merveilles des arts et des lettres.

Il est dédié à la mémoire de mon père, Pierre-Henri Carteron, régisseur de l'atelier photographique du Centre Georges Pompidou où il a travaillé de 1977 à 2001.

Un cancer de la gorge lui a ôté la voix. Les mots sont restés coincés en travers.

A ma mère qui m'a nourrie du lait de ses rêves.

"Ecrire, c'est rejoindre en silence cet amour qui manque à tout amour" (La part manquante, Christian Bobin).

lundi 7 avril 2014

La Lettre à Helga, Bergsveinn Birgisson

Ce roman est sélectionné pour la 2ème édition du prix Libraires en Seine (association de 12 libraires de l'Ouest parisien). Le lauréat sera désigné par un jury de lecteurs, dont je suis membre, le 22 mai 2014.

A gauche : ferme médiévale
En haut à droite : mouton islandais
En bas à droite : Bergsveinn Birgisson

La réponse du berger à la bergère

Bjarni Gislalon*, un ancien éleveur de moutons (la bergerie appartient à sa famille depuis neuf générations), également contrôleur des réserves de fourrage et responsable du petit cercle de la Société de lecture du canton de Hörga en Islande, vit dans une maison de retraite où sa femme, Unnur, vient de décéder. Tout au long de l'été 1997, il est hébergé chez son neveu où il occupe une chambre avec vue plongeante sur la ferme qu'habitait autrefois Helga, le grand amour dont il a pourtant choisi de se priver. Au crépuscule de sa vie, assailli par les souvenirs de leur brève mais ardente passion, il décide de lui adresser une longue lettre dans laquelle il expose sa philosophie du quotidien et les raisons qui l'ont poussé à "croupir dans son trou plutôt que suivre l'amour".

Une liaison adultère

Bjarni devient l'amant d'Helga lorsque celle-ci se retrouve seule à gérer l'exploitation de son mari (Hallgrimmur réalise d'incessants voyages pour dresser les chevaux dans les fjords). Il l'aide à soigner ses moutons atteints par la gale, puis elle lui fait une proposition insolite : il pourra aimer sa femme à travers elle. En effet, Unnur refuse toute relation charnelle avec son mari depuis l'ablation de l'utérus qui l'a rendue stérile (le médecin l'a affreusement mutilée). Elle s'effondre régulièrement en larmes dans la penderie de la chambre à coucher et s'assomme de travail pour tout oublier (tâches ménagères, fabrication du fromage, préparation de la viande et du poisson fumés).

Suivre comme un mouton ?

Malgré les ragots déjà existants sur leur liaison adultère (celle-ci restera toujours secrète), Bjarni et Helga se retrouvent lors d'ébats fougueux dans une grange jusqu'à ce qu'Helga tombe enceinte et désire recommencer une nouvelle vie à Reykjavik. Bjarni refuse alors de s'installer en ville non pas par lâcheté - dont il fait tout de même preuve en abandonnant leur enfant, la petite Hulda, qu'il observera grandir, de loin, avec ses jumelles - mais plutôt parce qu'il revendique un fort attachement à la terre et aux traditions de ses ancêtres, à la nature sauvage et aux troupeaux de bêtes : "Mais renoncer à moi-même, à la campagne et au travail de la terre auquel je m'identifiais, ça, je ne pouvais pas (…) Ca ne les dérange pas les gens des villes, de n'être pas en prise avec le monde, d'être insensibles et amorphes (…) Y a-t-il rien de plus terrible que d'attendre que la vie s'écoule ?."

Une réflexion sur les méfaits de la civilisation

L'auteur, Bergsveinn Birgisson, né en 1971 et titulaire d'un doctorat en littérature médiévale scandinave, porte la mémoire des histoires que lui racontaient son grand-père, lui-même éleveur et pêcheur dans le nord-ouest de l'Islande. Il décline, avec beaucoup de poésie et de sagesse, les épisodes marquants de la vie d'un homme simple qui ne sacrifierait pour rien au monde - même pas pour l'amour de sa vie ! - les conditions de son bonheur : contribuer à l'entraide entre villageois, jouir du souffle chaud des moutons dans la bergerie, ouvrir la porte sur une nature vierge aussi merveilleuse qu'hostile et se tenir à l'écart des méfaits de la civilisation et de l'économie libérale. Je recommande ce roman à tous qui souffrent de solitude dans la froideur des grandes villes, rêvent de solidarité et se tournent vers la sobriété heureuse prônée par Pierre Rabhi**.
***** Notes *****

* Il porte le même prénom que le héros du roman L'Oiseau noir de Gunnar Gunnarsson, auteur islandais : 
www.skriduklaustur.is/index.php/fr/ecrivain/litteraire/68-svartfugl

** Pierre Rabhi, né en 1938, est un agriculture biologiste, romancier et poète français, d'origine algérienne. Il défend un mode de société plus respectueux de l'homme et de la terre et soutient le développement de pratiques agricoles préservant les ressources naturelles : 
www.colibris-lemouvement.org

"Désormais, la plus haute, la plus belle performance que devra réaliser l'humanité sera de répondre à ses besoins vitaux avec les moyens les plus simples et les plus sains. Cultiver son jardin ou s'adonner à n'importe quelle activité créatrice d'autonomie sera considéré comme un acte politique, un acte de légitime résistance à la dépendance et à l'asservissement de la personne humaine." (Pierre Rabi)

Jean-Marie Le Clézio et Pierre Rabhi
sont les invités de "La Grande Librairie" cette semaine :
jeudi 10 avril à 20h35 sur France 5 (rediffusion le dimanche à 23h)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire