La liseuse, Robert James Gordon (1877)

Ce site est le journal de mes découvertes au pays des merveilles des arts et des lettres.

Il est dédié à la mémoire de mon père, Pierre-Henri Carteron, régisseur de l'atelier photographique du Centre Georges Pompidou où il a travaillé de 1977 à 2001.

Un cancer de la gorge lui a ôté la voix. Les mots sont restés coincés en travers.

A ma mère qui m'a nourrie du lait de ses rêves.

"Ecrire, c'est rejoindre en silence cet amour qui manque à tout amour" (La part manquante, Christian Bobin).

dimanche 1 juin 2014

La femme aux pieds nus, Scholastique Mukasonga (Rwanda)



Pour célébrer les 20 ans du génocide des Tutsi au Rwanda, j'ai choisi un roman autobiographique de Scholastique Mukasonga qui, au lieu de raconter les massacres sur fond de climat politique chaotique, évoque les traditions ancestrales de la communauté Tutsi à travers l'humble portrait de sa mère, Stefania, démembrée à la machette par les Hutu en 1994. Ce livre est le linceul dont sa famille n'a pas pu la recouvrir ("Quand je mourrai, surtout recouvrez mon corps avec mon pagne, personne ne doit voir le corps d'une mère"). C'est également un hommage à toutes les femmes qui se reconnaîtront dans le courage et le persévérant espoir de Stefania.

1) Sauver les enfants

En 1960, des milliers de Tutsi sont déplacés par les autorités mandataires belges dans la savane inhospitalière du Buguresa, à Nyamata. La famille de Scholastique est assignée à Gitagata, un des villages de regroupement. Stefania n'a qu'une seule raison d'y survivre : sauver ses enfants de la terreur des soldats du camp militaire de Gako, situé à la frontière du Burundi, qui saccagent les maisons, pillent les biens et tuent les vaches des Tutsi. Scholastique et ses deux soeurs cadettes, Jeanne et Juliette, se cachent au moindre danger dans les profonds terriers que creusent les fourmiliers en pleine brousse. Quant à Alexia et André, ils étudient dans un collège éloigné et ne rentrent que pour les vacances.

2) Les larmes de la lune

Scholastique se remémore les arbres situés dans la cour de la maison de Gitagata : un caféier qui servait de parasol jusqu'à 18h (la nuit tombe à la même heure en toute saison), un grand manioc, un ricin (les graines lavées à l'eau de pluie, séchées et grillées sont une friandise) : "Si le ricin était l'objet de toutes nos convoitises, il nous remplissait tout autant de terreur. C'était sur ses feuilles que tombaient les larmes de la lune. Ces larmes avaient, au dire de Stefania, la couleur et la consistance d'un beurre un peu mou, elles glissaient sur les feuilles, coulaient ensuite en filets visqueux sur toute la longueur de la plante et se répandaient en flaques jaunâtres à son pied. Cela se passait toujours à la pleine lune (...) C'était un présage sinistre qui annonçait que les pires malheurs allaient d'abattre sur la famille".

3) La maison de Stefania

Les cases alignées derrière une rangée de caféiers sont appelées les maisons de Tripolo (le nom d'un Blanc qui a eu l'idée de planter des piquets pour soutenir les mauvaises tôles dont les exilés devaient faire leur habitation). Derrière la case, Stefania construit l'inzu (la maison de paille tressée comme une vannerie), le rugo (l'enclos constitué de haies qui délimitent les demi-cercles de plusieurs cours imbriquées les unes dans les autres), la première cour (sorte de vestibule), la deuxième cour (le domaine des vaches), l'arrière-cour qui abrite les greniers (c'est le domaine de la mère de famille : préparations culinaires, jardinage, toilette du corps, réception d'amies, culte aux anciens).

4) Le sorgho

Juste avant la grande saison des pluies (de mars à mai), Stefania retourne la terre à la houe, sème le sorgho blanc (utilisé pour la bouillie ou la pâte consommée lors de la célébration de la nouvelle année) et le sorgho rouge (réservé à la bière) et bine à nouveau pour enfoncer les graines dans la terre grouillante de vers : "un beau champ de sorgho, c'était un talisman contre la famine et les calamités, un signe de fertilité et d'abondance et, pour nous les enfants, un dispensateur généreux de délices et de jeux". Les enfants mesurent leur taille aux tiges de la plante en fleurs et cueillent les inopfu, le fruit des plants de sorgho stérile et sans épis : "Sous l'enveloppe de feuilles de ces malvenus, il n'y avait pas de grains mais une masse blanche, informe, striée de filaments noirs". Les hommes réalisent ensuite la récolte, les femmes coupent les épis et les enfants les transportent jusqu'à l'aire de battage ou les greniers.

5) Médecine

Stefania reconstitue autour de la maison la pharmacie végétale où elle puise les ingrédients qui composent ses tisanes et onguents (le souci quotidien des mères est de faire partir les vers intestinaux qui minent la santé fragile des enfants). Cependant, malgré toutes les plantes dont elle connait les vertus, il lui manque le lait, ce précieux "élixir de vie" : "suprême richesse et délice de l'éleveur ! C'était sans doute par dérision qu'on nous avait déporté à Nyamata, le pays du lait ! pays stérile entre tous où les maigres troupeaux des Bagesera dépérissaient de maladies et de soif. On avait tué nos vaches et brûlé nos veaux dans les étables. Est-on encore un homme si l'on n'a plus son troupeau ?".

6) Le pain 

Le pain est la récompense suprême des bons élèves et l'ultime remède destiné aux enfants gravement malades car il coûte une fortune. Seuls les enseignants, les épouses des Blancs et les enfants des privilégiés peuvent acheter ces petites boules à la mie pâteuse et collante sur le marché de Kigali. Mais un jour, Kilimadame apprend à le fabriquer, construit un four et ouvre une boutique sur la place du marché de Nyamata. Celle-ci prospère et s'agrandit pour devenir un hôtel (un cabaret où l'on sert de la bière et de la cuisine "civilisée"). Lorsque Scholastique est admise à l'école d'assistantes sociales de Butare, elle est étonnée que les élèves aient du pain pour le petit-déjeuner. La semaine avant les vacances, elle garde précieusement ses parts pour les rapporter à sa famille.

7) Beauté et mariages

Le dimanche après-midi (le matin est consacré à la messe), les hommes vont de maison en maison à la recherche d'une cruche de bière de sorgho tandis que les femmes s'occupent des soins de beauté : épouillage, défrisage des cheveux au fer à repasser, massages à l'huile d'arachide en remplacement de l'ikimuri (le beurre de vache) : "L'absence d'ikimuri était pour les mamans l'un des signes les plus douloureux de l'exil. Que deviendraient leurs enfants sans ce baume de jouvence qui donnait aux membres force et beauté ?". Les critères de beauté que vantent les marieuses et que célèbrent les chansons, les proverbes et les contes sont : "une chevelure abondante mais qui laisse le front dégagé, un nez droit (ce petit nez qui décida de la mort de tant de Rwandais), des gencives noires comme en avait Stefania, signe de bon lignage, des dents écartées ...". Les femmes n'ont pas de miroir et se fient au jugement des autres : "Quand le soleil donnait un éclairage favorable, vous vous penchiez sur une flaque pour essayer de fixer votre reflet. Mais le portrait fluide dansait sou vos yeux impuissants. Votre visage d'eau se ridait, se fripait, se fragmentait en pellicules de lumière. Votre visage ne serait jamais à vous comme quand il était pris au piège du miroir, il était toujours pour les autres (...) Le seul miroir, c'étaient les autres : le regard de satisfaction ou les soupirs de découragement de votre mère, les remarques et les commentaires de votre grande soeur ou de vos camarades et puis la rumeur du village qui finissait bien par arriver jusqu'à vous : qui est belle ? qui ne l'est pas ?".

Qu'est-ce que le progrès selon les femmes du village ? : le port du caleçon au féminin, la teinture des cheveux blancs et "l'entrée en religion" (soit la possibilité d'atteindre la catégorie enviée des "évolués" en intégrant les séminaires et les noviciats où vêtements, nourriture, literie, tout y est presque comme chez les Blancs). Par exemple, Félicité, revenue du noviciat, incarne la femme autonome bien que menant une vie scandaleuse. Elle a obtenu de son père qu'il lui construise une maisonnette et des latrines pour elle toute seule à côté de la case de Tripolo.

8) Le mariage d'Antoine

La belle Mukasine, fiancée d'Antoine (le frère aîné de Scholastique), est enlevée par un noble qui appartient au clan royal. Antoine donne la vache qui lui était normalement destinée en dot, fruit de très longues privations, à la famille de Jeanne, sa nouvelle épouse.

9) Le pays des contes

Selon la coutume rwandaise, un père ne mange pas devant sa famille et doit réserver quelque chose pour le plus jeune de ses enfants (les hommes répugnent à manger en public et se cachent derrière une natte qui sert de rideau : "on est toujours gêné d'ouvrir la bouche devant les autres"). Après le repas, c'est l'heure des contes devant le feu (chansons tristes, anecdotes familiales, évocation de l'Ethiopie : "Ce pays fabuleux d'où, selon ma mère, seraient venus les Tutsi", bribes de l'histoire sainte tirées des sermons du dimanche ou des lectures de la Bible). Scholastique retient surtout la révélation de la trajectoire de ses parents : sa mère orpheline a été recueillie et employée par les religieuses de Kansi (cuisine, ménage et couture), son père était le secrétaire et le confident du sous-chef Ruvebana.

10) Des histoires de femmes

La vie des femmes est rythmée par la visite des voisines et leurs bavardages en fumant la pipe (véritable objet de convivialité). Les sujets qui reviennent le plus souvent sont : l'éducation des enfants, le rôle de Suzanne (elle fait passer aux jeunes filles la visite prénuptiale), le mariage, la grossesse, le sida et les viols : "En 1994, le viol fut l'une des armes des génocidaires. Ils étaient pour la plupart porteurs du sida (...) L'eau de toutes les sources du Rwanda n'auraient pas suffi à "laver" les victimes de la honte des perversions qu'elles avaient subies et de la rumeur de porteuses de mort qui les faisaient rejeter par beaucoup. Cependant, c'est en elles, en elles et dans l'enfant du viol, qu'elles trouvèrent la source vive du courage, la force de survivre, de défier le projet de leurs assassins. Le Rwanda aujourd'hui, c'est le pays des Mères-Courage".

Le récit se termine par un cauchemar récurrent de l'auteure - une relecture de son impuissance à respecter la dernière volonté de sa mère - dans lequel elle n'a pas de pagne assez grand pour couvrir les squelettes des Tutsi massacrés. Les enfants déposent des monceaux d'ossements au pied de la statue de Marie dans l'église de Nyamata.

***** Le blog d'un lecteur passionné  *****
http://lestambourinaires.wordpress.com/

Si vous souhaitez explorer les littératures d'Afrique et du Moyen-Orient, et plus particulièrement celles du Rwanda, vous trouverez sur ce blog des conseils de lecture tels que Englebert des collines du grand journaliste Jean Hatzfeld et Ce que murmurent les collines (nouvelles) de Scholastique Mukasonga, deux ouvrages publiés en avril 2014.

Les Batimbos du Burundi traversent la ville en chantant leurs chansons sur l'unité et la paix. Les tambours sont ensuite posés en demi-cercle, ce qui marque le début du spectacle. Leur groupe mélange Tutsi et Hutu sans que cela n'ait jamais posé le moindre problème.

***** La peinture d'un ami très proche *****
http://librecommeleplomb.blogspot.fr 


Si vous êtes amateur de beaux-arts, voici le blog de Jacky Chriqui, un artiste "touche à tout" : architecte, professeur aux Beaux-Arts, peintre, photographe, vidéaste, percussionniste (notamment au sein du groupe Malavoi), membre d'Amnesty International et de France Terre d'Asile et à présent formateur en massage ayurvédique.

Jacky est également auteur et vient de publier Libre comme le plomb, un récit très original, au style absolument unique (tel le poète, il a l'exigence des phrases justes "débarrassées des oripeaux, de cette masse de sens agglutinés qui ont enfoui la forme sous des camouflages approximatifs"), mêlant souvenirs, impressions et réflexions philosophiques sur les questions de l'enfance, la famille, la déportation, l'art, le sexe et la pratique du massage en tant que véritable soin du corps. Il s'agit avant tout d'un questionnement intime sur l'éducation et la nature du regard d'un homme depuis toujours absorbé par la contemplation des femmes et de leur "beauté ordinaire".

Comme il n'est pas un auteur (re)connu ou "bankable", il n'a pas trouvé d'éditeur pour la publication de son récit, sans doute parce que celui-ci est un peu trop dérangeant et n'entre pas dans le cadre de la fameuse "ligne éditoriale" ni dans le calendrier des sorties des best-sellers qui rapportent gros. C'est pour cette raison que son ouvrage est disponible sur Amazon (publication à compte d'auteur) : http://www.amazon.fr/LIBRE-COMME-PLOMB-CHRIQUI-Jacky/dp/2951090722.

Lointain Rwanda, Jacky Chriqui (1994)

"J'ai peint Lointain Rwanda au cours de l'année 1994, l'année du génocide. Il régnait une certaine indifférence dans les médias par rapport à ce qui se passait dans ce pays lointain. J'ai voulu symboliser ce pays aux mille collines par trois collines correspondant aux trois groupes : Hutu, Tutsi et Twa. Curieusement, la jambe gauche est peinte aux couleurs du nouveau drapeau rwandais qui date de 2001 (bleu, jaune, vert) remplaçant les trois couleurs de l'ancien drapeau (rouge, jaune, vert). La couleur rouge représente le sang coulé qui existe dans les mémoires mais a quitté le drapeau. Je me souviens d'avoir beaucoup cherché la vibration du rectangle bleu. Seul le mot lointain est lisible alors que j'ai effacé le mot Rwanda. Quand je peignais, il fallait que la couleur et la vibration exercent sur moi une certaine fascination pour que j'en accepte le résultat".

***** L'exposition "1994 Rwanda" au Mémorial de la Shoah (Paris) *****
http://www.memorialdelashoah.org/


***** Les "portraits de la réconciliation" de Pieter Hugo *****
New York Times Magazine (6 avril 2014)

http://www.nytimes.com/interactive/2014/04/06/magazine/06-pieter-hugo-rwanda-portraits.html


J'ai été captivée par cette série de portraits où les survivants du génocide posent à côté de leurs bourreaux pour illustrer le thème du pardon. Leurs regards, plantés droit dans nos yeux, sont saisissants de tristesse et de souffrance tandis que leurs corps tentent un timide rapprochement. Certains s'appuient légèrement sur l'autre, d'autres posent la main sur une épaule, quelques uns restent les bras croisés ou s'assoient par terre, un couple se prend par la main. J'ai tenté de traduire au mieux leurs propos afin que vous puissiez comprendre l'histoire de chacun.

Sinzikiramuka (criminel, à gauche) : "Je lui ai demandé pardon parce que son frère a été tué en ma présence. J'ai plaidé coupable car j'ai été témoin de ce crime mais je n'ai pu sauver personne. C'était un ordre des autorités. Je lui ai fait savoir qui étaient les tueurs, et ceux-ci lui ont également demandé pardon".

Karorero (survivant) : "Parfois la justice est corrompue et n'apporte pas de réponse satisfaisante. En revanche, quand on accorde son pardon, on est apaisé une bonne fois pour toutes. Etre empli de colère peut vous faire perdre l'esprit".

Jean Pierre Karenzi (criminel, à gauche) : "Je n'avais pas la conscience tranquille. J'avais honte devant elle. Après avoir suivi une formation sur l'unité et la réconciliation, je suis allé chez elle pour lui demander pardon et lui serrer la main. Jusqu'à présent, nous sommes en bons termes".

Viviane Nyiramana (survivante) : "Il a tué mon père et mes trois frères en compagnie d'autres criminels, mais il est venu tout seul me demander pardon. Il m'a aidé, en compagnie d'un groupe d'autres délinquants, à construire une maison. J'avais peur de lui mais maintenant que j'ai accordé le pardon, les choses sont devenues normales. Mon esprit est au clair".

Godefroid Mudaheranwa (criminel, à gauche) : "J'ai brûlé sa maison. Je l'ai attaquée, elle et ses enfants, mais ils se sont échappés grâce à l'aide de Dieu. Quand je suis sorti de prison, je serais aller me cacher dans un trou de souris si je l'avais croisée. Puis, le programme AMI nous a dispensés des formations. J'ai décidé de lui demander pardon pour avoir de bonnes relations avec elle car j'ai commis de mauvaises actions".

Evasta Mukanyandwi (survivante) : "Je le haïssais mais j'ai été émue par sa sincérité lorsqu'il est venu chez moi et s'est agenouillé pour se faire pardonner. Maintenant, si j'ai le moindre problème, je l'appelle et il vient me sauver".

Deogratias Habyarimana (criminel, à droite) : "Quand j'étais encore en prison, le Président Kagame a déclaré que les prisonniers qui plaideraient coupables en demandant pardon seraient libérés. J'ai été parmi les premiers à le faire. Une fois dehors, il fallait aussi demander pardon à la victime. Mère Cesarie Mukabutera n'aurait jamais pu savoir que j'étais impliqué dans le meurtre de ses enfants si je ne lui avais pas raconté tout ce qui s'est passé. Quand elle m'a pardonné, l'image du méchant homme s'est effacée".

Cesarie Mukabutera (survivante) : "Beaucoup d'entre nous ont connu plusieurs fois les ravages de la guerre. Je me suis demandée pourquoi j'avais été créée. Ma voix intérieure me disait : "Ce n'est pas juste de venger ton bien-aimé". Il en a fallu du temps avant de réaliser que nous étions tous des Rwandais. Le génocide était le résultat d'une mauvaise gouvernance du pays qui montait les voisins, les frères et les soeurs, les uns contre les autres. Maintenant, il faut accepter et pardonner. Celui que vous pardonnez devient un bon voisin. On se sent en paix et on pense à l'avenir."

Juvenal Nzabamwita (criminel, à droite) : "J'ai endommagé et pillé ses biens. J'ai passé neuf ans et demi en prison. J'ai appris à discerner le bien du mal avant d'être libéré. Et quand je suis rentré chez moi, j'ai pensé qu'il serait bon de lui demander pardon pour toutes mes mauvaises actions. Je lui ai dit que je me tiendrais à sa disposition en toute occasion. Mon propre père était impliqué dans le meurtre de ses enfants. Quand j'ai appris qu'il s'était mal comporté, je l'ai suppliée de me pardonner aussi pour cela".

Cansilde Kampundu (survivante) : "Mon mari se cachait mais les hommes l'ont traqué et tué un mardi. Le mardi suivant, ils sont revenus et ont tué mes deux fils. J'espérais que mes filles seraient épargnées mais ils les ont emmenées dans le village de mon mari pour les tuer et les jeter dans les latrines. Je n'ai pas pu les sortir de ce trou. Je me suis agenouillée, j'ai prié pour elles ainsi que pour mon frère cadet et j'ai recouvert les latrines avec de la terre. J'ai pardonné car je savais que je ne pourrais par ramener à la vie mes bien aimés proches. Je ne pourrais pas vivre en solitaire. Je me demandais qui resterait près de mon lit si j'étais malade et qui allait me sauver si j'étais en grande difficulté. J'ai préféré accorder mon pardon".


François Ntambara (criminel, à gauche) : "J'ai participé à l'assassinat de son fils pendant le génocide perpétré en 1994. Nous sommes maintenant membres du même groupe de réconciliation. Nous partageons tout. Si elle a besoin de boire de l'eau, je vais tout de suite lui en chercher. Il n'y a aucune suspicion entre nous. Avant, je faisais des cauchemars qui me rappelaient les tristes évènements que j'ai traversés. Maitenant je peux dormir en paix. Nous sommes comme frère et soeur".

Epiphanie Mukamusoni (survivante) : "Il a tué mon enfant, puis il est venu me demander pardon. Je le lui ai immédiatement accordé parce qu'il n'avait pas pu faire ça tout seul. Il était hanté par le diable. J'étais contente qu'il témoigne du crime au lieu de garder cela secret. Avant que je ne le pardonne, il ne pouvait pas m'approcher. Je le traitais en ennemi. Mais maintenant, je préfère le considérer comme mon propre enfant".


Dominique Ndahimana (criminel, à gauche) : "Le jour où j'ai pensé demander pardon, je me sentais déjà libéré et soulagé. J'avais perdu mon humanité depuis le crime que j'avais commis. A présent, je suis comme tous les autres êtres humains".

Cansilde Munganyinka (survivante) : "J'étais une femme folle et sans abri lorsque j'ai été chassée de mon village, pillé par Dominique et d'autres criminels. Plus tard, lorsqu'il m'a demandé pardon, j'ai dit : "Je n'ai rien pour nourrir mes enfants. Allez-vous m'aider à les élever ? Allez-vous construire une maison pour eux ?". La semaine suivante, Dominique est venu en compagnie d'anciens prisonniers et de quelques survivants du génocide. Ils étaient plus de 50 à construire une maison pour ma famille. Depuis ce jour, j'ai commencé à me sentir mieux. Mon coeur était sec comme un bout de bois. Maintenant, je partage la sérénité avec mes voisins". 


Laurent Nsabimana (criminel, à droite) : "J'ai détruit sa maison parce que nous pensions que le propriétaire était mort. Il était préférable de détruire les maisons à l'abandon afin d'obtenir du bois de chauffage. Son pardon m'a prouvé la pureté de son coeur".

Beatrice Mukarwambari (survivante) : "Je vais de l'avant car je ne suis pas têtue. Quand quelqu'un vient à votre rencontre sans haine, il faut l'accueillir et le pardonner malgré les choses horribles qui se sont passées. Le pardon est l'équivalent de la miséricorde".