La liseuse, Robert James Gordon (1877)

Ce site est le journal de mes découvertes au pays des merveilles des arts et des lettres.

Il est dédié à la mémoire de mon père, Pierre-Henri Carteron, régisseur de l'atelier photographique du Centre Georges Pompidou où il a travaillé de 1977 à 2001.

Un cancer de la gorge lui a ôté la voix. Les mots sont restés coincés en travers.

A ma mère qui m'a nourrie du lait de ses rêves.

"Ecrire, c'est rejoindre en silence cet amour qui manque à tout amour" (La part manquante, Christian Bobin).

mercredi 25 novembre 2015

Je suis mort hier, Patrick Jaulent

"Ne pleure pas parce que c'est fini, mais parce que c'est arrivé
Dr Seuss, auteur et illustrateur américain pour la jeunesse.



A partir de l'arrivée du docteur John John au UCSF Medical Center où sa soeur, Caroline Galveston, est plongée dans le coma artificiel, le lecteur pénètre peu à peu les secrets de la famille Carlson retranchée dans une luxueuse villa à Pacific Palisades, un quartier chic de Los Angeles. John, le père, est docteur en chirurgie esthétique dans sa clinique privée. C'est un bel homme d'une quarantaine d'années, séducteur et drôle, joueur de golf, admirateur inconditionnel des Kennedy. Elisabeth, la mère, est un ancien mannequin dont le visage a été brulé après un terrible accident domestique. Elle est obsédée par son poids et impose une abstinence monastique à son mari (ils font chambre à part, ce qui explique l'infidélité de John). John John (JJ), le fils ainé, est un étudiant en médecine tandis que Caroline, sa soeur, travaille officiellement dans la mode (elle est en fait strip-teaseuse au Viper Room, la boite de nuit branchée du tout Hollywood). Quant à Yin et Yang, les deux bouledogues, ils ne font qu'aboyer et se prélasser au soleil (la couleur noire et blanche permet de différencier le mâle et la femelle).

Le jour où le "dispatcheur" (prénommé Charles) annonce à John, le véritable héros du roman, ses dernières heures, celui-ci ne veut plus perdre une seule seconde. Il prend conscience qu'il a raté sa vie (sa femme vient de le quitter) et souhaite racheter ses fautes. Charles lui fait alors franchir le sas : un faisceau de lumières qui transporte les âmes (la vie sur terre est un examen de passage qui oriente la décision de dispatcher les âmes à la sortie du sas vers un autre univers). John rend d'abord visite à sa mère, Jessie, une ancienne prostituée qui vit dans un immeuble insalubre de Skid Row ("le quartier de Los Angeles tristement célèbre par sa renommée de capitale américaine des sans-abris"). Il ne l'a pas vue depuis dix ans. C'est l'occasion de lui déclarer son amour et lui pardonner son enfance meurtrie (elle ne lui a jamais manifesté de tendresse et a été infidèle au père devenu alcoolique). Il discute ensuite avec sa fille Caroline dont il regrette de ne pas avoir été assez proche, privilégiant les études de son fils JJ à qui il lègue sa clinique.

Que s'est-il "réellement" passé après la mort de John dans un accident de voiture ? Il a rejoint Tempora à la sortie du sas (un univers parallèle à la terre où la flèche du temps est inversée : il s'écoule du futur vers le passé). Il est devenu John le dispatcheur pour annoncer à sa fille Caroline son dernier jour sur terre. Elle reçoit la visite de son frère JJ à l'hôpital (retour à la scène inaugurale) où elle meurt sous assistance respiratoire. JJ voit alors son père accompagné de son premier amour Laurence (les deux fantômes lui apparaissent sous forme d'hologrammes).

Ce roman français - mais tellement américain ! - moderne et très original se situe à mi-chemin entre la science fiction et le roman ésotérique. Il délivre en filigrane, via une intrigue complexe qui tient le lecteur en haleine, une critique plutôt drôle de la bulle hollywoodienne et de sa superficialité. Si vous vous questionnez quant à l'existence d'une autre vie après la mort, ce livre vous accompagnera avec la bienveillance d'un être cher vers un monde meilleur : "Et vous cher lecteur, n'avez-vous pas imaginé, rêvé et, parfois même, planifié votre fin sur terre ou celle d'un proche ? Etes-vous certain qu'il n'y a pas un dispatcheur qui vous attend dans le SAS ? Et si c'était vos dernières vingt-quatre heures sur terre, feriez-vous ce que vous vous apprêtiez à faire aujourd'hui ?" (référence au discours de Steve Jobs à l'Université de Stanford le 12 juin 2005).

Le chanteur Johnny Cash sur le mur du Viper Room, photographie de David Flores. 
Le bar est réputé pour son atmosphère érotique et ses soirées à thèmes intitulées M. Moo's Adventure, d'après le nom du chien de Johnny Depp à qui appartiennent les lieux (Les Vipers est le nom de la bande de copains musiciens de l'acteur).

Le tic-tac de l'horloge est omniprésent tout au long du roman

La montre de John (modèle Apple Watch) affiche le temps restant avant son passage dans le sas : "Pour certains, l'horloge est un concept développé pour appréhender les changements du monde où pourtant les pendules ne sonnent pas à la même heure ! D'autres pensent que nous sommes tous reliés par l'horloge du temps qui s'écoule, tel un sablier qui se vide, mais pour les privilégiés, les lois du cosmos offrent l'opportunité de poursuivre le voyage sur un autre univers." Franchir le sas, c'est accéder à une possible rédemption, se perfectionner, apprendre à s'aimer et à aimer l'autre, découvrir des mondes parallèles complexes et obscurs.

Série Lost Angels, photographie de Lee Jeffries
Cet artiste vit à Manchester au Royaune-Uni et a rencontré 
un grand nombre de sans-abris aux Etats-Unis.

Dans le roman, Charles se présentera sous le nom de Dany, un ancien sans-abri qui mendiait sur les trottoirs du Bronx (quartier de New York) lorsqu'il a choisi de sauver l'âme de John. Il fait partie du gouvernement cosmique et gère le passage du sas : "Ma mission consiste à restituer ce que j'ai reçu en tant que privilégié en suivant les âmes mises à l'épreuve comme la tienne."

Le héros de Patrick Jaulent m'a beaucoup fait penser 
à la nouvelle de F. Scott Fitzgerald, publiée en 1922, dans laquelle 
Benjamin Button naît à 80 ans et vit sa vie à l'envers, 
sans pouvoir arrêter le cours du temps. Le roman de Patrick Jaulent 
"Je suis mort hier" est cependant une histoire originale.

Autoportrait de Christian Hopkins, jeune photographe étudiant à Philadelphie
(il a posté des clichés de sa dépression sur le site Flickr afin de combattre 
la maladie). Cette photo pourrait figurer en couverture de Je suis mort hier 
pour illustrer le départ de John, enveloppé dans un linceul qui lui donne des ailes, 
vers l'autre monde et sa transformation symbolique en ange gardien.

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INTERVIEW DE PATRICK JAULENT



1 - Pouvez vous nous parler de votre parcours (enfance, études, rencontres, expériences professionnelles) ?

C’est toujours un exercice difficile de se livrer …  parfois en pâture. Mais pourquoi pas !

Je suis l’ainé d’une famille de trois enfants. De niveau social disons modeste. Mon enfance, je n’en garde pas spécialement un bon souvenir : «  le petit qui se cachait sous la table » dans le livre était moi. Vous y trouverez d’autres passages personnels : je vous laisse les découvrir.

Souhaitant trouver autre chose, je m’engage dans la marine à 15 ½. Je passe mon BAC à Toulon … Sans trop rentrer dans les détails de mon CV, je dirais simplement que j'avais une seule idée en tête : être le meilleur, très certainement pour prendre une revanche sur mon enfance.  Alors j’ai passé un doctorat dans l’une des meilleures universités américaines.

Mes expériences professionnelles vont de professeur de sciences dans un lycée, à professeur d’université, créateur d’une entreprise informatique (que j’ai vendue à Airbus) et consultant. Ce que je retiens est également noté dans le livre : « Nul ne guérit de son enfance et chacun de nous à son histoire. »

2 - Qu'est-ce qui vous a mené à l'écriture ?

L’écriture est une véritable passion. Je n’ai plus le compte exact, mais j’ai dû écrire une douzaine de livres techniques et une cinquantaine d’articles (dans le Cercle des Echos…).


3 - En lisant votre livre, j'ai pensé à certains films américains (Retour vers le futur, Sixième sens, L'Etrange histoire de Benjamin Button, Cosmopolis). Avez-vous été influencé par la science-fiction ?

Je vais vous avouer un secret, je n’ai pas lu et vu le film concernant « Benjamin Button » (mais j’ai commandé le livre !). Le film Interstellar, ou Interstellaire au Québec, un film de science-fiction britannico-américain produit, écrit et réalisé par Christopher Nolan m’a interpelé.

A Stanford, j’étais inscrit dans un groupe d’études sur les univers parallèles. Les travaux de recherches de cette université en la matière sont les plus complets à ce jour. Depuis Einstein, nous avons appris que la séparation entre l'espace et le temps n'était pas si nette : L'un « communique » avec l'autre ; l'espace-temps se courbe ; plus je me rapproche de la vitesse de la lumière, plus le temps ralentit ; pour un photon, le temps est arrêté.

Avec la théorie des cordes, tout est devenu encore plus compliqué : il y aurait 7 dimensions cachées; au moment du big-bang, les 4 dimensions de notre univers – les 3 spatiales et la temporelle – se seraient déroulées ; rien ne dit que nos 4 dimensions ne soient pas enroulées avec un rayon de courbure immense …

Je vais vous avouer un autre secret, j’ai écrit deux versions de mon roman. La seconde, non publiée, est orientée univers parallèles. Plus science-fiction pour reprendre votre terme. Mais j’ai préféré publier celle que vous avez lue, car je souhaitais faire passer quelques messages.

4 - Quels sont vos auteur(e)s, acteurs / actrices, films préféré(e)s ?

Les auteurs que je suis tout particulièrement sont : Stephen King, Harlan Coben, John Grisham et Michael Connelly.

Mes acteurs / actrices français(es) sont : Patrick Bruel, Omar Sy, Vincent Lindon et Emmanuelle Béart. Au niveau des acteurs US, j’ai un faible pour Sean Penn et Scarlett Johansson.

Mes films préférés sont : La liste de Schindler, Lucy, Interstellar et Casino Royale. Que du classique.

Quant aux chanteurs, je dirais : Johnny national, Patrick Fiori, Patrick Bruel, Franck Sinatra et Andrea Bocelli.

5 - Pourquoi avoir choisi une famille américaine et la ville de Los Angeles ?

J’ai connu à Los Angeles une famille comme la famille Carlson, comme décrite dans le livre. C’est sans doute une exception. 

6 - Pourquoi avoir choisi un format court alors que vous auriez pu développer l'intrigue ? Avez vous "élagué" votre manuscrit ? Souhaitez-vous écrire une suite ?

La raison est simple et personnelle. Je n’aime pas lire les « gros pavés ». Et puis, il y aura effectivement une suite si «  Je suis mort hier » trouve son chemin.

7 - Que vous apporte la pratique du taekwondo par rapport à l'écriture ? Les deux pratiques se nourrissent elles l'une de l'autre ?

Le taekwondo est plus qu’un art martial. C’est un art de vivre qui véhicule les valeurs suivantes : la courtoisie, la politesse, la modestie, la persévérance, l’engagement, etc.

J’essaie de transposer ces valeurs dans mes écrits.

8 - Avec qui aimeriez-vous entretenir une longue correspondance et pourquoi ?

J’aimerais m’entretenir avec certains hommes ou femmes politiques et leur dire qu’un pays comme la France, la 5e puissance mondiale, n’a pas le droit de laisser des sans-abris dans les rues.

9 - Le deuil dont vous ne vous remettrez jamais ?

La mort de mon père ... j'en parle dans le livre. Pour vous, celui qui est mort en pesant 50 kg pour 1,80 m était mon père ...

lundi 2 novembre 2015

La maladroite, Alexandre Seurat

Alexandre Seurat est le premier lauréat du prix
"Envoyé par La Poste"*
Le premier roman d'Alexandre Seurat, professeur agrégé de lettres à l'IUT d'Angers (il a soutenu une thèse de littérature générale et comparée sur l'oeuvre de Virginia Woolf), s'inspire de l'affaire Marina Sabatier, décédée à huit ans, en 2009, des suites de maltraitance au Mans. L'auteur, marié et père de deux enfants, a été bouleversé par le martyr de la petite fille (Diana dans le livre) et a lu tous les comptes rendus d'audience du procès avant de prendre la plume pour aborder l'infanticide à travers une narration chorale. Les points de vue supposés des acteurs de la tragédie se succèdent comme autant de témoignages à la barre : le frère, la grand-mère, la tante, l'institutrice, la directrice d'école, le médecin scolaire, les bureaux de l'aide sociale à l'enfance et ceux du Procureur, le pédiatre hospitalier, le médecin légiste, la police et les gendarmes. Ce texte poignant est une charge magistrale contre l'immobilisme administratif lorsqu'il s'agit de prouver le calvaire de Diana, victime silencieuse de parents violents qui semblent pourtant tout à fait "normaux" (le couple est poli, gentil avec leurs autres enfants, cohérent dans le mensonge). Le roman se lit en apnée et appuie là où ça fait mal : qu'aurions-nous fait pour éviter la mort de cette enfant si "maladroite" ? (les parents utilisent cet adjectif pour justifier ses nombreuses blessures).

* Le prix "Envoyé par La Poste" est un nouvel évènement qui ouvrira chaque année la saison des prix littéraires. 

Créé par la Fondation d'entreprise La Poste, le prix récompense un manuscrit adressé par courrier, sans recommandation particulière, à un éditeur qui décèle, avec son comité de lecture, un talent d'écriture et qui décide de le publier. Le lauréat recevra 2500 euros, son livre sera recommandé notamment auprès des 500 000 postiers actifs et retraités et La Poste passera commande de 600 exemplaires à l'éditeur. La Fondation a pour objectif de soutenir l'expression écrite. Elle est mécène de l'écriture épistolaire, de l'écriture pour tous et des écritures novatrices et milite en faveur d'une écriture médiatrice de la solidarité au bénéfice de ceux qui sont exclus de la pratique, de la maîtrise et du plaisir de l'expression écrite.

La maladroite m'a été conseillé par Aude, mon excellente libraire
à Suresnes (elle est spécialisée en littérature jeunesse) :
Librairie Le Point de Côté
22 place Henri IV - 92150 Suresnes