La liseuse, Robert James Gordon (1877)

Ce site est le journal de mes découvertes au pays des merveilles des arts et des lettres.

Il est dédié à la mémoire de mon père, Pierre-Henri Carteron, régisseur de l'atelier photographique du Centre Georges Pompidou où il a travaillé de 1977 à 2001.

Un cancer de la gorge lui a ôté la voix. Les mots sont restés coincés en travers.

A ma mère qui m'a nourrie du lait de ses rêves.

"Ecrire, c'est rejoindre en silence cet amour qui manque à tout amour" (La part manquante, Christian Bobin).

lundi 8 février 2016

Le charme discret de l'intestin, Giulia Enders

Suite à la guérison de sa grave maladie de peau grâce à un changement radical d'alimentation, Giulia Enders, étudiante allemande de vingt-six ans passionnée de gastroentérologie (elle finalise actuellement sa thèse de microbiologie à l'université de Francfort), écrit Le charme discret de l'intestin qui plaide avec humour en faveur d'un organe négligé, voire maltraité (il constitue pourtant deux tiers de notre système immunitaire et produit vingt hormones qui lui sont propres !). Cet essai, illustré par sa propre soeur, figure depuis de longs mois dans le palmarès des meilleures ventes de livres en France. Comment expliquer un tel succès ? Sans doute parce que de nombreux patients, déçus de la médecine "classique", cherchent en vain des explications quant à leurs désordres intestinaux. Victime d'intolérances alimentaires depuis 2011 (essentiellement le blé et les produits laitiers), je me suis penchée avec intérêt sur les résultats des toutes dernières recherches scientifiques quant au rôle du "deuxième cerveau", présentées ici de façon simple et ludique, sur notre bien-être. Inflammations chroniques, surpoids, dépression, diabète, maladies de peau ... et si tout se jouait dans l'intestin ?

Giulia Enders nous offre d'abord une visite guidée au sein de notre système digestif. Elle nous apprend notamment que l'intestin grêle est tapissé d'environ sept kilomètres de petites vagues formées par les villosités : des organes microscopiques, sorte de petits fanons à la texture proche du velours, qui ont pour fonction de faciliter le passage dans le sang des nutriments. Elle décompose ensuite notre matière fécale (eau, bactéries, fibres non digestibles, déchets médicamenteux, colorants et cholestérol) dont elle interprète la composition, la couleur et la consistance (l'échelle de Bristol, publiée en 1997, décrit l'aspect des sept types de selles humaines) : "Observez la vitesse à laquelle vote oeuvre s'enfonce dans l'eau. Si elle sombre au fond de la cuvette en moins de temps qu'il ne faut pour le dire, c'est peut-être qu'elle contient encore beaucoup de nourriture mal digérée. Pour flotter un temps à la surface, les selles doivent renfermer de petites bulles de gaz. Celles-ci proviennent de bactéries intestinales qui, dans la plupart des cas, font du bon boulot. Si vous ne souffrez pas par ailleurs de ballonnements, cette trace de leur présence est donc un bon signe." Puis, elle consacre une partie de son ouvrage au système nerveux entérique qualifié de "deuxième cerveau" parce que l'intestin est tout aussi étendu et présente la même complexité chimique que le cerveau. Les deux sont d'ailleurs reliés par le nerf vague ou pneumogastrique : "une ligne de téléphone qui relie l'intestin à la centrale cérébrale". Elle nous explique par exemple que les sujets très exposés à l'hormone du stress souffrent de maux de ventre (ballonnements, gaz, diarrhées ou constipation) qui traduisent un état anxieux ou dépressif à l'origine de micro-inflammations ou d'une hypersensibilité temporaire à certains aliments. La plus courante des intolérances alimentaires est celle au gluten (amalgame de protéines issues de céréales telles que le blé). On peut par ailleurs s'interroger quand à la recrudescence des intolérances : n'est-ce pas la réaction tout à fait saine d'un corps qui, en l'espace d'une génération, a du s'adapter à une alimentation telle qu'elle n'a encore jamais existé : "Tandis que nos ancêtres, les chasseurs-cueilleurs, mangeaient chaque année jusqu'à cinq cent variétés de racines, d'herbes et de végétaux, nous nous nourrissons aujourd'hui le plus souvent de dix-sept plantes utiles. Rien d'étonnant, donc, à ce que notre tube digestif ait du mal à "digérer" cette évolution." L'auteur consacre enfin une grande partie du livre à la planète microbienne et au système immunitaire : les bactéries constituent 90% de notre population intestinale. Vous ferez ainsi connaissance avec la famille des bonnes bactéries qui produisent entre autres la vitamine B1 (dont le cerveau a besoin pour nourrir les cellules nerveuses et les envelopper d'une gaine de graisse isolante : une carence se manifeste par des tremblements musculaires et des pertes de mémoire) ou avec la famille des mauvaises bactéries (la salmonelle, la toxoplasmose, les oxyures ou vers intestinaux qui se nourrissent de sucre). Vous vous étonnerez sans doute de l'existence d'Helicobacter : une bactérie à multi facettes. En effet, son germe peut tantôt produire des toxines dangereuses (elle provoque des troubles gastriques et favorise les risques de cancer de l'estomac ou la maladie de Parkinson) tantôt déclencher des mécanismes de protection en interaction avec notre corps (elle combat l'asthme et l'eczéma).

Parmi les conseils livrés par l'auteur, voici les plus intéressants : s'accroupir pour déféquer, ce qui éviterait les diverticules et les hémorroïdes (il est même possible de rester assis dans cette position à l'aide d'un petit tabouret devant les WC), consommer de bonnes graisses aux propriétés anti-inflammatoires (les huiles végétales de colza, lin et chanvre contiennent des acides alpha-linoléniques bénéfiques en cas de migraines fréquentes ou de douleurs menstruelles), manger du vrai gingembre pour stopper les nausées (des substances contenues dans les rhizomes de cette plante bloquent le centre du vomissement), surveiller la prise de poids si certains marqueurs inflammatoires sont supérieurs à la moyenne (attention aux déséquilibres hormonaux, à la carence en vitamine D ou à une alimentation trop riche en gluten), manger un yaourt par jour (les rhumes sont moins fréquents), respecter les méthodes d'entretien intelligentes pour contenir les bactéries qui se multiplient dans un espace protégé, chaud et humide (aérer les pièces, essorer au maximum les éponges et les torchons, régler le thermostat du réfrigérateur qui ne doit pas dépasser les 5°C, préférer les planches à découper en plastique à celles en bois car les bactéries survivent bien mieux dans les fentes et rainures du bois). Le chapitre le plus instructif est celui qui concerne justement les mauvaises bactéries et les moyens de les éviter : consommer des fruits et légumes ainsi que de la viande bio (le cahier des charges de l'élevage bio limite plus strictement la quantité d'antibiotiques administrés aux animaux), se laver les mains fréquemment en vacances (un vacancier sur quatre rapporte des germes ultra résistants de son voyage en Inde, Asie, Moyen-Orient ou Europe du Sud), s'offrir une cure de probiotiques pendant quatre semaines (ils augmentent nos capacités à assimiler les aliments, minéraux et vitamines, fabriquent de petites doses d'antibiotiques et d'anticorps, luttent contre la diarrhée ou la constipation) et multiplier les prébiotiques* (certains aliments atteignent le gros intestin et vont nourrir les bonnes bactéries). A la toute fin du livre, on entrevoit la solution future pour greffer de bonnes bactéries capables de s'enraciner durablement dans nos intestins : la transplantation. Des entreprises travaillent déjà à des implants synthétiques.

Une liste de probiotiques 

Poireau, asperge, ail, oignon, endive, salsifis, topinambour, artichaut, seigle, avoine, amidon résistant (il se forme quand on laisse refroidir les pommes de terre et le riz après cuisson).

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Si vous êtes toutefois intéressé par l'alimentation, je vous conseille l'enquête de Julien Venesson, journaliste scientifique et consultant en nutrition : Gluten, comment le blé moderne nous intoxique. Vous comprendrez alors que la sensibilité ou l'intolérance au gluten n'est absolument pas un phénomène de mode (sauf pour ceux qui veulent perdre du poids à tout prix) mais une "maladie de civilisation". En effet, les agronomes ont profondément modifié les gènes du blé :  celui-ci pose donc beaucoup plus de problèmes que les variétés ancestrales car il perturbe la zonuline (une protéine qui régule la perméabilité intestinale). 

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D'un point de vue linguistique, ce que nous sommes, c'est également ce que nous avons dans le ventre. Nous sommes pris aux tripes, nous avons les foies ou l'estomac noué, nous nous faisons de la bile, nous ravalons notre colère, digérons les affronts, etc ...

L'auteur évoque des sujets à priori tabous avec des métaphores drôles, inspirées et décomplexantes . Elle nous réconcilie ainsi avec nos "pets de travers" : "Le tube digestif sait s'entourer d'alliés efficaces : avec pas moins de trois couches de muscles lisses, il est extrêmement souple dans ses mouvements et peut exécuter des chorégraphies différentes selon les endroits. Et le chorégraphe chargé de régler les pas et les figures de ces muscles, c'est le système nerveux viscéral ! (...) J'en conviens, un rot ou un pet n'ont peut-être rien de très raffiné, mais sachez-le : les mouvements qui les induisent sont aussi élégants que ceux d'une danseuse étoile."



Les dessins humoristiques de Jill Enders accompagnent parfaitement le texte. Ils sont réalisés à l'encre de chine et leurs contours enfantins plairont également aux enfants ! :

"Notre intestin grêle est un maniaque de la propreté. Il fait partie de ceux qui, après un bon dîner, vont aussitôt débarrasser la table et remettre de l'ordre dans la cuisine (...) Une heure après la digestion, il lance le programme autonettoyant. Les manuels évoquent ce processus sous le nom de "complexe moteur migrant (CMM) baptisé housekeeper, la fée du logis (...) Quand on grignote sans arrêt, les coups de balai se font plus rares. Le fonctionnement de notre programme autonettoyant corrobore le conseil des nutritionnistes, qui recommandent une pause de cinq heures entre les repas."



Ci-dessus : Vertumne (Rodolphe II), peinture de Giuseppe Arcimboldo (1590).

Rodophe II (1552-1612), empereur germanique, était aussi roi de Hongrie et de Bohême. Il est représenté en Vertumne. Ce dernier était à l'origine un dieu étrusque avant de passer dans le panthéon romain. Dieu des jardins et des récoltes de l'automne, il représentait, pour les Romains, une puissance secrète qui faisait éclore les fruits et les légumes.